OPERATION ANNEXION. FEVRIER-AVRIL 1860 :
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Opération Annexion. Février-Avril 1860.
Merci pour l’excellent travail de Jean-Marc Fonseca dich Barbajohan.
L’annexion par la France du Duché de Savoie et du Comté de Nice devrait suivre deux étapes, le plébiscite, qui respectait aux yeux de l’opinion internationale le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et la ratification parlementaire de Turin qui respectait le droit constitutionnel de la monarchie piémontaise.
En France ce ne sera qu’une formalité, en effet, dans la nuit du 1er au 2 décembre 1851, les troupes de Saint-Arnaud occupent tous les points stratégiques parisiens, des Champs-Élysées aux Tuileries. Soixante mille hommes, appuyés de plus de cent pièces d’artillerie, occupent la capitale. Louis-Napoléon fait occuper toutes les imprimeries dont l’Imprimerie nationale alors que seuls les journaux favorables à l’Élysée peuvent continuer de paraître. Les cafés (lieux de discussion politique) et les écuries (où l’on pourrait louer des chevaux pour fuir Paris) sont fermés. Maupas fait arrêter les chefs de l’opposition, républicaine ou monarchiste, par les commissaires de police ; seul un refuse, et il est arrêté.
Louis Napoléon Bonaparte fait placarder sur les murs de Paris dès 6h du matin le texte de ses proclamations : l’un est un « appel au peuple » à destination des Français tandis que l’autre est une proclamation à l’armée. Il édicte des décrets dans lesquels il déclare l’état de siège, la dissolution de l’Assemblée nationale, le rétablissement du suffrage universel, la convocation du peuple français à des élections et la préparation d’une nouvelle Constitution. Son Appel au peuple annonce son intention de restaurer « le système créé par le Premier Consul ».
Autorisé par le plébiscite de décembre 1851, le Président de la Deuxième République, Louis-Napoléon Bonaparte, promulgue une nouvelle constitution le 14 janvier 1852, qui lui confie la présidence de la République pour dix ans et organise les institutions selon le modèle du Premier Empire.
Puis, par un sénatus-consulte du 7 novembre 1852, l’Empire est restauré au profit de celui qui devient Napoléon III. Le peuple français approuve massivement cette restauration par référendum (7.839.532 oui, 253.145 non, abstentions 2.062.798) (96,8 % des votants).
Le Second Empire est formellement un régime autoritaire et populiste qui évolue vers un régime parlementaire contrôlé à partir seulement de 1865.
– Un régime autoritaire et populiste. La constitution modifiée du 14 Janvier 1852 modifiée, “reconnaît,confirme et garantit les grands principes proclamés en 1789” et organise un gouvernement fort et un législatif technique.
–Le pouvoir gouvernant
Le Chef de l’État, l’Empereur commande les forces armées, déclare la guerre, fait les traités, dispose du droit de grâce et accorde des amnisties. Le Chef du Gouvernement, il nomme et révoque les ministres et les fonctionnaires. Les ministres, qui ne constituent pas un Cabinet ministériel, ne sont pas collectivement responsables. Le Conseil d’État, dont les membres sont nommés et révoqués par l’Empereur et que ce dernier préside, est chargé de rédiger les projets de loi et de soutenir leur discussion devant le Sénat et le Corps législatif.
–La puissance législative. Elle est tout d’abord exercée par l’Empereur lui-même, qui a seul l’initiative des lois, fait les règlements et décrets d’application, sanctionne (veto) et promulgue les lois et les sénatus-consultes, et qui peut dissoudre le Corps législatif.
Elle est également exercée par le Corps législatif et le Sénat.
Un législatif technique : le Corps législatif et le Sénat Les deux assemblées sont étroitement contrôlées par l’Empereur.
Le sénat comprend de 80 à 150 membres, nommés à vie par l’Empereur, les cardinaux, amiraux, et les maréchaux, étant membres de droit.
Il peut modifier la constitution par des sénatus-consultes, et peut vérifier la constitutionnalité des lois. Le Corps législatif comprend 260 députés élus pour 6 ans au suffrage universel direct, au scrutin uninominal à deux tours, mais les circonscriptions électorales sont « habilement découpées » et les élections sont « organisées » de telle sorte que seuls les « candidats officiels » soient élus… (Seuls 8 candidats non-officiels sont élus en 1852, 7 en 1857, 32 en 1863, 71 en 1869).
Les militaires originaires de Savoie et du Comté de Nice étaient doublement concernés, citoyens, ils devaient se prononcer à l’égal des civil sur la question posée ; soldats, ils devaient attendre les conclusions du parlement Sarde pour être fixé sur leur sort.
Mais qu’il s’agisse de la consultation des populations civiles des 15 et 16 avril 1860 ou celle des militaires du 22 et 23 avril, le vote des Niçois et des Savoisiens, se déroula dans un contexte d’occupation militaire d’un territoire qui n’avait pas encore exercé de choix.
« La Savoie se meurt…La Savoie est morte. La moitié des troupes françaises occupant la Lombardie arrive à Chambéry aujourd’hui. C’est la force brutale qui nous saisit. C’est par le sabre que commence notre occupation. » Paul Guichonet Le rattachement de la Savoie par la France racontée par un témoin (journal de Pierre Fontaine 1859-1851)
C’est en ces termes qu’un jeune étudiant en notariat Pierre Fontaine, de Bonneville, s’exprime dans son journal à l’annonce de la signature du traité du 24 Mars survenu la veille.
Il ne se trompait pas, en effet juridiquement ces territoires n’appartenaient pas encore à la France, et ils ne pouvaient être occupés par des troupes venus du territoire français ce qui aurait constitué un affront pour l’ensemble des puissances censées garantir le Traité de 1815.
C’est là que ce réalisa une des opérations les plus fameuse de Louis Napoléon Bonaparte.
La direction de cette opération fut confiée à Édouard Antoine Thouvenel
Attaché d’ambassade en Belgique, il devient en 1848 chargé d’affaires à Athènes puis ministre plénipotentiaire à Munich. Après le Coup d’État du 2 décembre 1851, il fut appelé à la direction des affaires politiques au ministère des Affaires étrangères puis nommé ambassadeur à Constantinople (1855), mandat au cours duquel il fait preuve de mishellénisme et de xénophobie, écrivant, entre autres, que « l’Orient est un détritus de peuples et de religions. » Sénateur du Second Empire (1856), il fut nommé ministre des Affaires étrangères (24 janvier 1860). Son ministère fut marqué par l’annexion de Nice et de la Savoie.
L’astuce consistait à faire occuper la Savoie et le Comté de Nice par des unités militaires de passage que l’on rapatriait d’Italie.
Il fallait d’abord signer une sorte de “traité international” liant la France et le Piémont qui n’interviendrait qu’après coup. Devant les réticences de Cavour qui craignait une intervention de Garibaldi au sujet de sa citée natale, Nissa, Thouvenel pensait pouvoir forcer la main des autorités piémontaise par une opération militaire qui ne dirait pas son nom.
Dans le cadre de la cession de la Savoie et du Comté de Nice à la France, les autorités piémontaises rapatrièrent leurs troupes aussi vite qu’elles le purent, et refusèrent de s’engager dans un problème qui n’était plus le leur. Mais le gouvernement français n’était pas prêt pour assurer la relève et la sécurité de ces régions. « Heureusement », il restait en Italie quelques troupes françaises qui n’avaient pas été rapatriées. Thouvenel en profita.
En effet, si à la suite de Villafranca le 11 juillet 1859, l’armée d’Italie fut dissoute et quitta l’Italie dès le 23 juillet, un corps d’occupation restait en Italie pour garantir les clauses de l’armistice. Ce corps d’occupation sous les ordres du maréchal Vaillant était composé de cinq divisions d’infanterie (la division d’Autemare de Failly du 4e Corps, de la division Bourbaki du 3e corps) et de deux brigades de cavalerie (les chasseurs du général Rochefort et les hussards du général de Lapérouse). Ce corps demeura en Italie jusqu’à la conclusion définitive de la paix lors du traité de Zurich du 10 Novembre 1859. Son évacuation commença, le 20 mars 1860 avant la signature du Traité de Turin, et se termina le 16 juin 1860, après la proclamation de l’annexion de la Savoie et du Comté de Nice.
Pour pouvoir se faire une idée des effectifs mis en oeuvre lors de cette opération annexion, un petit récapitulatif de l’organisation de l’Armée Française sous le Second Empire.
Théoriquement l’armée du Second Empire a pour modèle l’armée Napoléonienne du premier empire. La division d’infanterie comprend alors en général deux brigades de deux régiments d’infanterie et deux compagnies d’artillerie de six pièces. Son effectif varie entre 7.000 et 10.000 hommes. Chaque régiment comprend 3 bataillons d’environ 800 hommes à 8 compagnies (une compagnie de 100 hommes) et dispose d’un effectif théorique de 2700 hommes (dans les faits le plus souvent moins de 2000).
Les régiments de cavalerie sont à six escadrons (150 cavaliers) et comprennent un effectif théorique de 800 à 900 hommes chacun.
Les régiments à pied sont à 12 batteries dont 5 partent en campagne, Toutes les batteries sont à 6 pièces de 4. En 1859, des divisions sont transportées en hâte au Piémont alors qu’elles ne disposent ni d’état-major, ni de moyens de transport pour leur ravitaillement, ni même parfois de leur artillerie.
Deux des divisions de ce corps d’occupation « retournèrent « en France, l’une la division du général de Failly passa par le Comté de Nice, l’autre la division du général Uhrich, par la Savoie.
Ainsi les troupes françaises pouvaient se substituer aux troupes « sardes » sans être obligé de passer la frontière française.
La division du général de Failly était composée de deux brigades.
La 1ere Brigade O’Farrel comprenait le 13 e Bataillon de chasseurs à pied (BCP), les 2e et 53 e Régiment de ligne, la 2e Brigade Saurin rassemblait quant à elle, les 55 ieme et 76 ieme régiments de ligne.
En Savoie, la division Uhrich était, elle aussi, composée de deux brigades. La première brigade Granchamps comprenait le 14e bataillon de chasseur à pied (BCP) et les 18 e et 29 e régiments de ligne, la 2e brigade Cauvin de Bourguet avec les 80e et 82e de ligne.
Chaque régiment était composé de trois bataillons de six compagnies chacune.
En prévision du mouvement de retour du corps d’occupation de l’armée d’Italie, le nouveau ministre français de la Guerre, le Maréchal Randon, pris les dispositions nécessaires dès le 20 mars en donnant des ordres précis au maréchal Vaillant, com- mandant en chef de l’armée d’Italie stationnée à Milan.
« Donnez l’ordre à un régiment d’infanterie et à un régiment de cavalerie de partir le plutôt possible en passant par la corniche de Nice. Faites passer un autre régiment d’infanterie par le Mont Cenis.
Arrangez-vous de manière à ce que les régiments fassent séjour à Nice et à Chambéry et ne quittent ces villes qu’après avoir été relevés. Les régiments marcheront par escadron ou par bataillons en passant par Nice ; par Compagnies en passant par le Mont Cenis. En- voyez le régiment d’infanterie à Gêne par chemin de fer. »
Randon précisait par la suite : « J’enverrai un officier supérieur à Nice et à Chambéry pour y remplir les fonctions de commandant de la place : il est bien entendu que les officiers envoyés dans les places auront uniquement pour mission de régler les rapports que les troupes françaises de passage auront nécessairement avec les autorités locales.
L’intention de l’empereur est que la tenue et la discipline soient sévèrement observées de telle façon que l’armée française après avoir bravement combattu pour l’indépendance de l’Italie, ne laisse après elle que des souvenirs honorables aux populations. » Succession Castellane, lettre de Randon au maréchal Vaillant, Paris le 20 mars 1860. SHAT, Armée d’Italie, G3/1.
Donc avant même que le Traité du 24 mars 1860 ne fut signé, le Ministre de la guerre, le Maréchal Randon, transmettait, le 21 mars 1860, au maréchal de Castellane, commandant le 4eme corps d’armée de Lyon capitale des Gaules, ce que lui avait dit le maréchal Vaillant la veille : « Une compagnie du 80e de ligne sera à Chambéry dès le 29 mars. Une seconde le 30 et ainsi de suite… »
Ainsi l’arrivée de compagnies françaises devait s’échelonner chaque jour, ce qui ne pouvait qu’aggraver les problèmes de transport et d’intendance. En fait le véritable but n’apparaissait qu’à la fin de la lettre.
« Sans que j’eu besoin de m’étendre plus largement sur ce sujet, Votre Excellence, sait déjà qu’il est question de prendre possession de la Savoie et du Comté de Nice. L’occupation de Chambéry ne soulèvera je crois aucune opposition probablement, Genève manoeuvrera pour disjoindre le Chablais et le Faucigny de la Savoie proprement dite : cette question pourra se régler plus tard. »
Castellane est un homme de confiance de l’Empereur, il a dirigé sans états d’âmes la sanglante répression à Lyon lors du coup d’État du 2 décembre 1851.
Mais en attendant, Randon demandait à Castellane de lui envoyer tous les renseignements sur l’état d’esprit qui régnait dans les populations en Savoie et dans le Comté de Nice.
« Bien que je ne voye rien sur l’horizon qui annonce de prochains orages, je pense néanmoins que sans démonstration extérieure, il est prudent d’avoir des troupes prêtes à marcher sous quarante-huit heures jusqu’au moment où Nice et Chambéry seront occupées par les têtes de colonnes de l’armée d’Italie. “Il s’agissait donc de prendre « en douceur » la succession des Piémontais, prêt à évacuer ces deux provinces conformément au Traité sur le point d’être signé.
Mais le gouvernement français entendait également affirmer la présence française en assurant la sécurité en vue d’éventuel événements de sédition ou d’exaltation patriotique anti-français. L’envoie de belles troupes aguerries et disciplinées, garante de l’ordre qui régnait en France ou du nouvel ordre qu’on voulait mettre en place, devait montrer l’attachement que prodiguait la France à ces deux futures provinces. Les officiers qui aux yeux du Maréchal Randon, détenaient toutes les qualités pour cette mission délicates étaient :
– Le colonel d’état-major Eugène Saget. Officier topographe, chef de la 2e section du dépôt de la Guerre (ancêtre du 2e Bureau Français) pour le secteur Italie nommé le 21 avril 1859, un homme des services de renseignement. Il s’était fait favorablement remarquer en préparant l’arrivée des troupes françaises au Piémont le 18 mars 1859, il sut tisser des liens avec les plus hautes autorités civiles et militaires piémontaises grâce à ses amitiés maçonniques.
– Le colonel Auguste Osmont, colonel d’état- major, passé par l’École Spéciale Militaire et l’école d’Application d’État-major. Chef d’escadron en 1852. Campagne de Crimée. Reconnait les routes conduisant de Gallipoli à Andrinople et Varna (Brillante action commando réalisée en arrière des lignes ennemies et en milieu hostile). Commande ensuite Eupatoria (sept 54-Fer 55). Avec deux compagnies d’infanterie, 200 anglais et 400 Turcs, il repousse plusieurs fois les attaques russes.
Le colonel Saget reçut son ordre de mission le 23 mars 1860. Celui-ci devait se rendre de Paris à Lyon et de là rejoindre Chambéry pour y être le 27 mars.
Le colonel Osmont reçu le sien à Toulon le 26 mars au soir et embarqua immédiatement à bord du transport « La Mayenne » pour débarquer à Nice entre le 27 ou le 28 mars, car il était prévu que le premier bataillon du 2e de ligne fut à Villefranche au plus tard le 29 mars.
La mission du colonel Saget consistait à mettre tout en oeuvre pour que l’arrivée et le passage des troupes de la division Uhrich se déroulent dans les meilleures conditions possibles, tant sur le plan des relations avec la population civile, pas encore française et dont on pouvait craindre des réactions d’hostilité. Il fallait aussi résoudre les problèmes d’intendances (logement, ravitaillement, transport, soins etc…). Le colonel Saget dépendait de l’autorité du maréchal de Castellane, qui le 30 mars 1860, depuis Lyon, lui définissait les instructions concernant la division Uhrich.
« Colonel, d’après les instructions que son Excellence, le Ministre de la Guerre vient de m’adresser, la 2e Brigade de la division Uhrich seule jusqu’à nouvelle ordre passera par le Mont Cenis. Il devra toujours y avoir au moins deux bataillons à Chambéry ; quand ces deux bataillons auront été formés par l’arrivée successive des compagnies, le premier s’apprêtera à partir, et il quittera la ville le jour où le troisième bataillon y verra entrer la dernière compagnie. »
À Nice, cependant, l’arrivée des troupes françaises n’étaient pas aussi ordonnées. On calculait non pas en termes de compagnie mais de bataillon, et l’occupation française apparue beaucoup moins feutrée qu’en Savoie. À la différence du Duché de Savoie, Nice connaissait, en cette fin du mois de mars, des tensions entre soldats Piémontais et matelots français, événements dont se fit l’écho la gazette « L’Avenir de Nice » au point de « blesser l’honneur des officiers Piémontais ». L’Avenir de Nice journal de Carlone manipulé par le consul de France était l’organe des bourgeois annexionnistes, La Gazette de Gonzague Arson défendait la thèse d’une Nice neutre et indépendante, Il Nizzardo était la feuille des partisans de la Maison de Savoie. Ce journal rapidement interdit renaîtra sous le nom du Diritto di Nizza de l’avocat-journaliste Joseph André.
Il s’agissait donc d’accélérer le processus pour éviter l’émergence d’une opposition anti- française, d’autant que deux mille cinq cent hommes des 19e et 20e Régiment d’infanterie
« Sarde » étaient encore en garnison dans cette ville qui n’oubliait pas son héros local imprévisible Joseph Garibaldi.
En effet à partir du premier avril 1860 des troubles éclatèrent, Le consul de France Léon Pillet (ex- directeur de l’Opéra de Paris) et le sénateur Piétri, installé à Nice, dirigeaient déjà tout à leur gré. Le scénario qu’ils avaient préparé était en place et ils avaient choisi les hommes corrompus qui allaient servir leurs projets. La frégate française La Foudre, chargée de soldats, mouillait déjà en rade de Villefranche, aux ordres du Consul de France. Mais l’acte de renonciation ne fut rendu public que le Ier avril. Pendant ce temps, les Niçois furieux assiégèrent l’Hôtel où résidait Piétri, brisèrent les vitres et furent refoulés par les marins français. Le syndic Malausséna, corrompu par Piétri était tout acquis à la France, mais il restait Arson et de la junte municipale qui avait demandé la neutralisation de Nice garantie par les puissances européennes ; pour paralyser leur action, le roi désigna le 1er avril les personnes que le ministère français, sur les conseils de Piétri, lui avait indiqué, pour diriger le comté. Lubonis fut nommé régent, Prosper Girard, vice-gouverneur et Auguste Gal, conseillé.
Ces nominations étaient illégales car ayant renoncé à sa souveraineté il ne pouvait nommer aucun fonctionnaire et encore moins un « régent » puisque Nice n’avait plus de roi… La veille, ces nomina- tions avaient déjà été annoncées à Paris dans le Journal des débats avant même que Victor- Emmanuel ne signe les actes officiels !
En Savoie en revanche les choses semblaient mieux se passer, le colonel Saget envoya son premier rapport au ministre en date du 27 mars.
« J’ai eu l’honneur de rendre compte hier par câble à votre Excellence de mon arrivée à Chambéry. Je me suis immédiatement mis en rapport avec les autorités sardes qui m’ont donné sur la ville et sur l’ensemble de la Savoie les remerciements les renseignements les plus satisfaisants. Le calme règne de tous côtés. Les troupes sardes ont complétement évacué Chambéry…J’ai assisté au départ des Bersaglier et j’ai été étonné de la froideur générale à leur égard. »
Le colonel Saget n’avait pas encore eu connaissance du reportage et des photos redessinées par le journaliste du journal L’illustration qui lui montrait la foule venue dire un dernier adieu aux Bersaglieri qui quittaient Chambéry par le train dans une ambiance non pas empreinte de froideur mais d’émotion.
Mais Saget, n’était pas dupe de ses propres rapports, il s’inquiétait car, si la population semblait satisfaite du départ des piémontais, elle ne montrait pas de l’enthousiasme pour les troupes françaises.
Ces dernières devaient passer par St Jean de Maurienne pour se rendre à Chambéry, Saget adressa dès le 28 mars au commandant de la place de St Jean (déjà un officier français) les mesures à prendre pour réaliser l’opération de la façon la plus efficace. Le commandant devait ainsi envoyer un rapport quotidien sur l’arrivée des détachements et sur l’état physique des unités, et faire en sorte que les unités arrivent deux par deux à Chambéry en prenant un train tous les deux jours.
Les premières compagnies du 80e de ligne entrèrent donc à Chambéry le 28 mars, soit un jour
avant le calendrier prévu. (Le 80e se retrouvera au complet dans cette ville dès le 13 avril.) Les ordres donnés par Saget furent exécutés dans les temps, et comme prévu les unités « relevées » prirent immédiatement position sur la frontière de 1815.
À partir du 7 avril, il n’était plus question de régler des problèmes liés au passage de troupes françaises dans une région que la France voulait annexer, mais de prendre possession de ces régions en prévoyant une véritable occupation militaire.
Ainsi le 4 avril, à Chambéry le régent Dupasquier demanda au colonel Saget de « pourvoir à la garde des prisons » et de la poudrière, en faisant occuper les postes qui en dépendent, aux motifs « que la garde nationale » (savoisienne) est très fatiguée du service qu’elle a assurée en l’absence de garnison.
À Nice, dès l’évacuation des troupes sous pavillons des états de Savoie, achevée le 7 avril, non seulement des troupes françaises prélevées dans les « compagnies d’élites » relevèrent la garde du bataillon piémontais et les gardes nationaux affecté à la garde d’honneur de l’impératrice de Russie.
Le sénateur français Piétri, l’envoyé spécial de Napoléon III et le Gouverneur Lubonis, n’avaient pas confiance dans la garde nationale formée de Niçois pour « s’assurer » de la personne de l’impératrice de Russie.
Le colonel Osmont exprimera auprès du ministre de la guerre dès le 9 avril, quelques scrupules et aurait préféré attendre le plébiscite pour ne pas donner d’argument aux adversaires de la France, mais il dut se plier aux ordres de Piétri.
En effet, Alexandra Feodorovna impératrice de Russie, est opposée à l’annexion de Nice par la France et s’en entretien diplomatiquement avec de nombreux contacts en Europe, il est nécessaire au gouvernement français de « neutraliser » son influence. Cette mission délicate sera confiée au commandant Février et aux 80 hommes du bataillon des zouaves de la Garde.
L’impératrice se rendra compte de sa situation « d’otage de luxe », cet affront et cette contrariété aggravera son état de santé, retournée en Russie, elle décédera le 1er novembre 1860 à Tsarskoïe Selo (Царское Село). (Ville de Russie devenu Pouchkine (en russe : Пушкин), surnommée le « Versailles russe », autrefois située dans l’oblast de Léningrad, elle est depuis 1991 sous la juridiction de Saint-Pétersbourg.)
La situation en Savoie était cependant plus complexe que dans le Comté de Nice. La frontière Suisse inquiétait les autorités françaises et le risque de sédition du Chablais et du Faucigny existait. Il fallait bien renforcer le plus rapidement possible le dispositif militaire d’occupation, tout en rassurant les « possédants et honnêtes gens » favorable à la France.
Dès le 26 mars 1860, le Ministre de la Guerre, le Maréchal Jaques Randon, écrivit à Saget,
« D’apporter dans (les recherches qu’il aurait à effectuer) toute la discrétion et la réserve compatible avec l’exactitude des renseignements que vous désirez (sic) obtenir, de manière à n’inquiéter aucune susceptibilité. »
Cette inquiétude était partagée par le Maréchal de Castellane. Le 28 mars, il écrivait à Saget à propos des Suisses : « Genève ne se calme pas…Le Conseil Fédéral a ordonné à Berne la convocation im- médiate du contingent de plusieurs cantons, l’assemblée fédérale devait se réunir le 29 mars pour prendre d’autres mesures. Le jour même, on apprit que des contingents genevois étaient venus faire une promenade militaire jusqu’à la frontière près de Ferney. Mais Castellane écrivit à Saget que les chevaux et les hommes étaient en piteux états, aussi les français disaient en les regardant être à la diète. » Ce jugement plein de morgue, propre à l’état d’esprit d’un officier supérieur qui se pensait membre de la meilleure armée du monde, cachait mal un sentiment d’inquiétude grandissant partagé par les autorités françaises.
Le même Ministre écrivait le 30 mars à Saget, « Multipliez les rapports autant que possible. Précisez l’état d’esprit autour de vous, l’attitude de la population de Chambéry et des campagnes sur la frontière Suisse. Tout ce que vous aurez appris par la rumeur publique et par vos informations particulières. »
Le gouvernement français, craignait donc une agitation à la veille de l’opération plébiscite qui risquait de devenir contagieuse, et qu’il fallait empêcher au plus vite.
Saget répondit le jour même à Randon : « J’ai reçu la visite de plusieurs habitants influents du Chablais et du Faucigny. Ils demandent à grands cris une protection la plus minime possible, ne fusse que quelques agents français non avoués. Les autorités piémontaises et les carabiniers veulent ne plus se mêler de rien. Il en résulte que ce pays est inondé de brochures, de proclamations détestables qui démoralisent les populations des campagnes, beaucoup moins francisées que ceux des villes.
Dans tout le reste de la Savoie, les choses vont admirablement bien. »
Le courrier du Colonel Saget révélait un autre danger qui planait dans tous les esprits : l’agitation révolutionnaire. Les quelques possédants du Chablais et du Faucigny avait certes peur des conséquences d’un conflit avec la Suisse, « même si son armée faisait peine », mais ils craignaient surtout un coup de main révolutionnaire dans les zones définie par le Congrès de Vienne en 1815 comme franches ou neutres et que la Suisse dont le Canton de Genève était censé faire respecter. En effet une partie non négligeable des populations du Chablais et du Faucigny étaient favorables au fait de former un nouveau canton rattaché à la Confédération Helvétique.
Ce danger n’était pas imaginaire, il prit même forme le 31 mars 1860 lorsque « 50 bandits armées, la masse composée de réfugiés de tous les pays, ont débarqué à Thonon (Savoie). Repoussés par les habitants, ils sont revenus à Genève, où ils ont été arrêtés. » (Billet de liaison de Saget à Castellane du 31 mars).
Le 2 avril, Saget écrivait au Ministre Randon et au Maréchal Castellane : « Il n’y a plus d’autorité, les carabiniers sont tous Piémontais et attendent leur rappel, tous les honnêtes gens (francophiles) de- mandent à grand cris (aussitôt qu’il sera possible de le faire) qu’on leur donne de bonnes brigades de gendarmerie françaises. »
Le 3 avril, la tension s’apaisa puisque l’ardeur belliqueuse des genevois diminua, mais le danger militaire était toujours là. Les Suisses continuaient leur mobilisation pour se protéger d’une éventuelle agression française et de la présence dans cette région d’une division française.
Le 6 avril, Saget écrivait à Castellane : « Les contingents suisses réunis à Genève se composent de deux bataillons d’infanterie (le 20e et le 84e), un bataillon de Neuchâtel, un du Canton de Vaud, un du Canton de Berne, ainsi que la 53e Batterie d’artillerie (genevoise) soit un effectif de trois mille deux cents hommes. »
Ces unités suisses à la frontière, justement là où les mouvements contestataires étaient les plus actifs, ne pouvaient que nuire aux intérêts de la France. Elles encourageaient également des mouvements séditieux et gênaient le bon déroulement du plébiscite dont la France avait absolument besoin pour légitimer l’annexion. Il fallait donc au plus tôt rassurer le clan francophile en effectuant un déploie- ment de force suffisamment important pour dissuader les mécontents ou les patriotes savoisiens d’agir et d’enrayer toute propagande anti-annexionniste.
Voilà pourquoi, le maréchal Castellane prévînt Saget le 7 avril 1860 que la première brigade allait devoir occuper Chambéry.
Ces nouvelles dispositions traduisaient en fait les nouvelles instructions que Randon Ministre de la Guerre avait fait parvenir au colonel Saget dès le 6 avril. Celui-ci devait surveiller la frontière suisse où les menées subversives et anglaises encore l’agitation (la tentative avortée de Thonon ou d’Évian démontrait cependant la faiblesse du parti qui l’avait conçue).
Le parti en question datait du congrès de Vienne de 1815, si le délégué du pays de Gex ne fut pas écouté, il n’en fut pas de même des représentants de Genève. Cette ville avait été le centre de l’anglophilie sur le continent et dans l’empire français, en sorte que Lord Nesselrode était fort bien disposé à l’égard de la petite République. Le chef de la délégation, Pictet de Rochemont, avait été le précepteur du Tsar Alexandre, en sorte que la porte de l’empereur lui était toujours ouverte et que la bienséance commandait aux autres souverains de faire comme le Tsar. Et enfin, aux côtés de Pictet de Roche- mont, il avait le banquier Eynard, dont l’épouse était la plus belle femme d’Europe tout le monde l’avait remarquée et personne n’ignorait qui était Eynard. Que ce fut l’Angleterre ou la Russie, un certain nombre de puissances Européennes se méfiaient des fantasmes expansionnistes de Napoléon III dont les antécédents familiaux pouvaient laisser présager au pire.
La présence militaire française était un élément essentiel pour la propagande plébiscitaire indispensable à la « légitimité de l’annexion »
Aussi bien les rapports de Saget en Savoie que ceux d’Osmont dans le Comté de Nice, soulignaient la ferveur des populations en attente de devenir français.
Castellane s’en fit l’écho auprès de Randon : « Tous les Savoisiens que j’ai vus se réjouissent de leur annexion à la France, on croit généralement ici que les propriétés de Savoie touchant nos anciennes frontières vont doubler de valeur, de nombreux capitaux lyonnais vont se porter de ce côté ; il n’est pas douteux que par son annexion, la Savoie entre dans une ère nouvelle de prospérité ; beaucoup d’ouvriers soyeux de Lyon étaient Savoyards. La fabrique de Lyon y établira sans doute des métiers à tisser sur place comme cela avait eu lieu dans les départements voisins. » Lyon le 23 mars 1860.
Ainsi les habitants de Chambéry accueillirent-ils les premières compagnies du 80e de ligne qui entrèrent dans la ville le 28 mars, et les personnes les plus influentes du Chablais et du Faucigny réclamèrent elles encore plus de troupes et de présences française.
Le 29 mars, Saget décrivait au Ministre Randon et au Maréchal de Castellane l’allégresse qui régnait la veille à Chambéry.
« La garde nationale toute entière avait pris les armes et s’était rendu à la gare, toutes les maisons étaient pavoisées de drapeau français, toute la population de la ville et celle des campagne voisines étaient accourue sur notre passage, la foule était tellement compacte qu’il était à peine possible d’avancer aux milieux des cris frénétiques de Vive l’empereur, vive la France, à la nuit la ville entière s’est spontanément illuminée. Je n’ai jamais vu autant d’enthousiasme, même en Italie. C’est un fait extraordinaire lorsqu’on connait le caractère froid des Savoisiens. Pendant toute cette journée qui a été favorisée par un temps magnifique, l’ordre le plus parfait n’a cessé de régner. La tenue des troupes était remarquable. »
Il est évident que Saget, magnifiait au travers ces lignes sa propre action.
Le colonel Osmont, faisait de même à Nice, en relatant, l’arrivée des deux bataillons du 2e de ligne le premier avril..
« Les deux bataillons du 2e de ligne, musique en tête, sont arrivés à midi et demi en vue de la ville. Une population considérable était allé à leur rencontre et encombrait la route depuis la place Vittorio (aujourd’hui place Garibaldi) jusqu’à une distance de deux kilomètres. Dans la ville, presque toutes les fenêtres étaient garnies de drapeau français. Le défilé s’est effectué avec ordre, au milieu des cris de « Vive l’Empereur », « Vive la France » poussés par les habitants qui couvraient nos soldats de fleurs et de couronnes. Quelques cris de « vive l’Italie », « vive Nice Italienne » se sont fait entendre mais ils étaient étouffés par la manifestation annexionniste. » Nice le 2 avril 1860.
Pierre Louis Caire (1841-1929) admirateur et ami de Garibaldi, plutôt Italophile donne en tant que témoin une autre version de ces événements. « Dès le 22 mars, on vit des groupes de marins (issus des 600 marins de la frégate la Foudre ancrée dans le port de Nice) renforcé de nombreux Provençaux venu d’Antibes s’associer aux partisans de l’annexion et manifester bruyamment notamment dans les théâtres ce qui donna lieu à quelques échauffourées dont se fit l’écho l’Avenir de Nice de Carlone financé par les bons soins du consul de France.
Ce furent ces groupes qui le premier avril 1860 allèrent à la rencontre des troupes françaises qui revenaient de Lombardie puisqu’à partir de ce moment-là, la population niçoise s’abstint de les recevoir et même s’y opposa, à tel point que le colonel de la garde nationale se trouva tout seul ou presque avec un bouquet de fleurs à se rendre à la rencontre de chaque contingent de soldats pour prononcer quelques paroles de bienvenue.(…)Le soir du 2 avril, le peuple surexcité se rendit devant la caserne Saint Dominique (aujourd’hui caserne Rusca),où étaient casernées les troupes françaises démontrant à nouveau leurs sentiments nationaux avec des hourras répétés à l’Italie et à Garibaldi ; mais repoussés par les soldats baïonnette au canon, le peuple finit par comprendre que le gouvernement français avait définitivement pris possession de la ville et que désormais s’y opposer était devenu inutile et dangereux. »
Pour subvenir au besoin au logement des troupes, Saget écrivit au ministre dès le lendemain de son arrivée, soit le 27 mars 1860 : « Les casernes de Chambéry sont fort belles et peuvent contenir, celles d’infanterie deux milles hommes, celles de cavalerie six cent hommes et quatre cent chevaux. » Quand à Nice, le Maréchal Vaillant, commandant en chef de l’armée d’Italie, avait trans- mis au ministère de la guerre, dès le 24 mars, des rapports sur le casernement de Nice, Ville- franche, Monaco, Menton et Vintimille et le 30 mars, le colonel Osmont précisait la capacité d’ac- cueil à Nice, passant au crible les casernes d’infanterie (St Augustin, St Dominique) et les lieux où l’on pouvait installer la cavalerie, en l’absence de quartiers adéquats (nouvelle fabrique de tabac, différentes écurie de la ville), au total de quoi accueillir deux bataillons d’infanterie.
Le 26 mars 1860, Napoléon III envoya ses commissaires politiques spéciaux, ce fut Piétri pour Nice et Laity pour la Savoie.
Le 27 mars : le roi Victor-Emmanuel II signe un manifeste (publié le 1er avril) par lequel il délie officiellement les Niçois et les habitants du Comté de leur serment de fidélité à sa personne et à sa dynastie.
Il y maintenant plus de 150 ans que ce sont déroulés ces évènements peu-importe les motivations géo- politiques de Louis Napoléon Bonaparte ou de Victor Emmanuel II, ce qui est surprenant c’est la modernité des méthodes de propagande visant à faire accepter à des populations une décision.
Convaincre qu’il n’y a pas d’autre alternative pour jouer sur le taux de consentement.
On retrouve dans cette opération annexion, de la propagande, de la désinformation, de la culpabilisation, l’usage de la peur, de l’insécurité, du chaos économique, des agents d’influences, aussi bien le clergé que les médias ou les personnalités influentes.
La première démarche consiste à faire croire aux populations qui souvent par traditions familiales et historiques restent proche de la Maison de Savoie, que pour continuer à maintenir ce lien séculaire, accepter l’annexion ou la réunion avec la France, c’est rester dans le sacrifice et rester fidèle au Roi.
L’agent Piétri se rendit immédiatement à Turin, et en rapporta un certain nombre de missives signées de Théodore Santa-Rosa, le secrétaire de Cavour.
Ces lettres étaient destinées à convaincre une partie de l’élite intellectuelle et économique du Comté de Nice. Toutes ces lettres dont certaines étaient rédigées en Italien pour leur conférer plus d’autorité le thème était le même, il y était dit en mot choisi que l’annexion de Nice à la France était une nécessité inéducable et pour cette raison, on les conjurait de se mobiliser et d’user de leur influence pour qu’elle ait lieu sans contestation.
Que ce soit en Savoie ou à Nice, toutes les proclamations vont dans ce sens.
« Citoyens ! Toute incertitude concernant notre futur a disparu. Par le traité du 24 mars, le valeureux Victor Emmanuel a cédé la Savoie et le Comté de Nice à la France. (…) Mais le destin d’un peuple ne repose pas exclusivement sur la volonté des souverains. Le magnanime empereur Napoléon III et le loyal Victor Emmanuel ont donc désiré que la cession soit renforcée par l’adhésion populaire (…) A l’auguste voix de votre roi, toute incertitude sur votre avenir a cessé ; de la même façon, a ses augustes paroles devraient disparaitre pour le futur de toutes discussions et rivalités, tous les citoyens devraient être animé par l’esprit de conciliation. Toute opposition devrait céder devant les intérêts du pays et le sens du devoir. En fin de compte celle-ci trouverait un obstacle insurmontable dans la volonté même de Victor Emmanuel.
(…) Il n’est pas besoin de démonstration publique. Leur seul effet serait de compromettre l’ordre public qui dans le futur sera énergiquement maintenu. Confiance, tranquillité et recueillement doivent être l’acte solennel auquel vous êtes appelés.
Concitoyens ! La mission que m’a confiée le roi est courte mais importante. Pour pouvoir accomplir mon devoir, dans ces extraordinaires circonstances, je compte sur votre aide et votre collaboration, sur votre respect de la loi et sur le haut niveau de civilité auquel vous vous êtes élevés.
Accélérez donc par vos suffrages la confirmation de notre union à la France.
Faisant écho à la volonté du Roi, rassemblons-nous autour du drapeau de cette grande nation qui a toujours eu nos plus vives sympathies.
Pressons-nous autour du trône du glorieux empereur Napoléon III, et entourons le de cette fidélité si caractéristique de notre pays que nous avons réservé jusqu’à aujourd’hui à Victor Emmanuel.
Toutes ces affiches et proclamations étaient souvent renouvelées afin de démontrer aux populations l’adhésion de tous, en effet des affiches dégradées ou déchirées sont signe d’une opposition. Si les affiches restent intactes, les opposants se sentent vaincu et minoritaires et n’osent plus s’en prendre à la propagande en faveur de l’annexion.
Par ailleurs des agents électoraux jouent les propagandistes dans les cabarets et les durant les entre- actes de spectacle : « Grace à la France, le train va enfin arriver à Nice. Le port de Nice avait souffert de la concurrence de Gène, là il allait renaître. Les investisseurs français allaient venir à Nice, car l’empereur y tenait beaucoup, ainsi se développerait l’industrie et les emplois.
L’empire Français allait s’ouvrir aux Niçois, les paysans allaient pouvoir abandonner les terres pauvres et ingrates des pays de montagne et trouver bombance et cocagne en Algérie. En France le service militaire n’était que de sept ans dont les trois dernières années passées à la maison, en cas de blessure ou de mort au combat la France versait à l’invalide ou à la veuve de confortable pension, ce qui n’était pas le cas en Italie. »
Le président du syndic de Nice, Malausséna qui pourtant avait fait partie d’un délégation Niçoise à Turin pour demander une sorte de statuquo par lequel Nice, ne serait pas rattaché à la France, déçu devant le peu d’empressement de Victor Emmanuel à conserver Nice, avait par déception et intérêts rejoint le camp pro-français.
« Serrons-nous avec calme et dignité autour des urnes ; unissons-nous dans un même esprit de patriotisme illuminé et conciliant : que rien n’entrave la libre expression de nos voeux, mais que chacun de nous en déposant son bulletin ait présent à l’esprit ses devoirs envers notre pays, envers la France et l’Empereur. Vive la France, Vive l’Empereur. » François Malausséna Président du Syndic de Nice, 8 avril 1860.
Le clergé par sa plus haute autorité dans le Comté de Nice, y alla aussi de sa prose. Monseigneur Jean Pierre Sola, Piémontais pure-souche puisque né à Carmagnola en Piémont, le 16 juillet 1791, se mit à diffuser une circulaire aux paroissiens et à l’ensemble des fidèles en leur faisant presque un cas de conscience de voter pour l’annexion et de la favoriser par l’exemple et l’exhortation. (…) « donc, nous ne pouvons douter que tous ceux qui ont professé et professent toujours une sincère dévotion pour Victor Emmanuel II n’hésiterons pas à lui en donner une nouvelle preuve en cette circonstance en suivant le bon exemple et en se disposant de bonne grâce à faire partie de la puissante nation à la- quelle lui-même veut vous voir unis. »
« Quant à nous immolés aux pieds du crucifix, les liens de sang, d’amitié, de patrie qui nous lient au Piémont et en particularité à son auguste monarque, qui nous honora d’innombrable bienfaits et pour qui nous professerons toujours sincère affection et gratitude, fermes dans la résolution de demeurer parmi les excellents niçois que le suprême pontife Pie IX a eu la bienveillance de confier à notre di- rection spirituelle, nous vous déclarons avec candeur être heureux et fier de pouvoir avec la présente lettre donner le premier témoignage de notre filiale dévotion et de l’ineffaçable reconnaissance à ce généreux empereur à qui l’Italie est en particulier notre État, restera débiteur de son salut et de son actuelle puissance. »
« Dans le cas où nous serions admis à faire partie du glorieux empire français, nous pourrions jouir des précieux bénéfices, que la justice des lois, l’opulence du trésor, la sagesse de l’administration, l’intégrité des officiers publics, et la civilité de la nation, répandent dans toutes les classes de citoyens qui la composent. Nous verrons bientôt parmi nous se développer les sciences, les arts, le commerce, la moralité publique et ce qui importe le plus, nous verrons avec joie promu le culte à la gloire de dieu, l’honneur de notre sacrée sainte religion et le bien-être de ses ministres sacrés. L’édi- fiante docilité avec laquelle, en chaque circonstance, vous accueillez nos observations et nos avis, répand en nous le doux espoir qu’étant persuadé de la réalité des avantages que nous vous avons franchement exposé, au sujet de l’union que l’on vous propose, non seulement vous accourrez al- lègres , dimanche prochain pour approuver par votre vote affirmatif, mais que vous convaincrez les paroissiens qui vous demanderont conseil, à voter de même »
Cette déclaration fut distribuée à toute les paroisses et Monseigneur Sola rajouta à l’adresse des prêtres : « Dans la pleine confiance que le vote de dimanche prochain grâce à votre active influence, réussisse dans cette paroisse, conformément à notre désir, nous vous réaffirmons nos sentiments de sincère estime. Nice, le 9 avril 1860. Signé : Votre frère, Jean Pierre, Évêque de Nice.
Malgré le peu de temps pour organiser cette consultation électorale, il était fondamental qu’elle fut un succès pour le Oui, y compris et malgré ou grâce à l’absence de listes électorales à jour et l’absence de bulletin nom pour répondre à la question qui serait posée les 15 et 16 avril pour les Niçois :
– Le territoire du Comté de Nice veut-il être uni à la France ? Et les 22 et 23 avril aux Savoisiens.
– La Savoie veut-elle être réunie à la France ?
(Note : les termes choisis ne sont pas anodins et sont susceptibles de constituer un argument juridique international d’importance.)
Aussi, malgré l’occupation militaire et la propagande, le parti français prit des précautions en diffusant une circulaire lithographique imprimée par l’imprimerie d’État à Nice, remise nominativement et sous enveloppe aux membres des administrations.
« Nice, le 6 avril 1860. Messieurs, L’annexion du Comté de Nice à la France ne sera accomplie qu’après le vote favorable des populations.
Déjà toutes les mesures propres à assurer le succès de la votation ont été prises par les gouvernements Sarde et Français. Toutes les autorités civiles et ecclésiastiques, ainsi que tous les employés et chefs d’administration ont été invitées à s à favoriser par tous les moyens possibles et dans le sens français, la votation à laquelle il va être procédé très incessamment.
Ainsi M…. (Le destinataire identifié) à la veille de voir réaliser nos plus chères espérances, il importe à tous les partisans de la France d’user de toute leur influence auprès des populations et de réunir leurs efforts pour que le résultat de la votation soit une preuve éclatante des sympathies françaises du pays et son entière adhésion au grand acte de réparation attendu depuis si longtemps.
Nous sommes convaincus que le gouvernement de l’Empereur tiendra compte aux populations de l’unanimité de leur vote et mesurera ses bienfaits suivant leurs bonnes dispositions.
Sans énumérer ainsi les immenses et incontestables avantages de toutes natures que notre pays doit retirer de son annexion à la grande nation française, nous nous faisons un devoir de nous adresser à tous nos amis ou correspondants non seulement pour stimuler leur zèle en faveur de la cause commune mais aussi les engager à user de toute leur influence pour assurer le succès de la votation dans dans le sens français, mais encore pour qu’ils aient à bien surveiller et à nous signaler les démarches qui pourraient être faites en sens contraire par quelques opposants afin de prendre les mesures nécessaires pour neutraliser les influences hostiles aux intérêts du pays.
Veuillez bien, M…..en nous accusant réception de la présente, nous faire connaître, l’esprit de votre population et celui de vos autorités locale et croyez-nous,
Vos dévoués serviteurs. »
Plus la date de la consultation approchait, et plus les autorités françaises étaient fébriles et en dépit de la nécessité pour la crédibilité de l’opération qu’aucune force militaire française ne soit présente en Savoie et à Nice le jour du vote, les unités restèrent dans leur cantonnement.
Ainsi à Nice, le 15 avril, c’est-à-dire le jour du vote, les soldats du 2e bataillon du 53e de ligne « sont consignés sur la rive gauche du Paillon où sont les casernes et tous les postes de la place. » (Note : En 1860, la rive gauche du Paillon, de la place Victor à son débouché représente les trois quart de la ville.)
Certes « les recommandations les plus précises leur ont été faites pour observer aujourd’hui l’ordre et la discipline » mais leur présence ne peut qu’influencer le vote des habitants même si ces derniers avaient été conditionnés pour exprimer un vote favorable à l’annexion par la France.
La situation en Savoie découlait de ce qui s’était déroulé à Nice, une semaine auparavant. Les troupes de la 2e Brigade continuaient à arriver selon la planification prévue par l’état-major de Randon depuis le protocole secret du 24 février 1860, le nouveau ministre des Affaires étrangères Thouvenel exposa clairement la position du gouvernement français : il ne pourrait laisser libre action à son homologue piémontais que si celui-ci se conformait entièrement aux dispositions du traité de janvier 1859, désormais applicable de plein droit, puisque le Piémont « réalisait les annexions prévues et ne pouvait s’opposer au puissant mouvement qui portait Nice et la Savoie vers la France ». Le Maréchal de Castellane transmis à Saget les ordres qu’il avait reçu du ministre Randon.
« Le Bataillon du 82e ne se rendra pas le 22 aux Échelles, mais restera à Chambéry. »
Je ne m’étendrais pas sur les conditions même des votations :
– absence de bulletin de vote NON,
– listes des inscrits fantaisistes, (de nombreux provençaux au service des français participeront ainsi aux manifestations « Flash-Mob » de propagande pro-annexionnistes voire à de multiples votations, les résultats des communes de l’Estéron sont révélatrices. – impossibilité de vérifier l’identité des votants,
– la validation des délimitations territoriales entre la France et le Piémont n’étant pas encore faite, l’appréciation de la nationalité du votant est laissé à l’appréciation des agents administratifs qui contrôlent les bureaux de vote,
– pour exprimer un vote contraire à la France, il faut s’inscrire nominativement sur un cahier à part, il n’y a donc pas de vote NON anonyme.
Ceci fera l’objet d’une autre communication.
Le résultat fut au-delà de toutes les espérances :
Pour le Comté de Nice : Nombre des inscrits : 30712 Nombre des votants : 25933
Nombre de OUI : 25743 (99,26 %)
Nombre de non : 160
Nombre de nul : 30
Nombre d’abstentions : 4779 (15,5%)
Pour la Savoie :
Nombre des inscrits : 135449 Nombre des votants : 130839 Nombre de OUI : 130533 (99,76%)
Nombre de non : 235 Nombre de nul : 71
Nombre d’abstentions : 4610
Conclusions : Les plébiscites des 15 et 16 avril à Nice et des 22 et 23 avril en Savoie eurent bien lieu sous le contrôle et la présence d’une armée d’occupation étrangère en l’occurrence l’Armée Française. La préparation psychologique des populations fut l’oeuvre de cellules psycoops organisées par le gouvernement français.
La protestation officielle de Garibaldi au parlement de Turin hypothèque pour toujours le plébiscite truqué de 1860. Après être intervenus au Parlement avant même le vote sur la ratification du traité du 24 mars 1860 qui cédait Nice et la Savoie à la France, les deux députés de Nice, Garibaldi et Laurenti-Roubaudi avaient adressé leur démission au président de cette assemblée. Le texte de cette lettre est capital puisqu’en droit, il constitue la protestation officielle de la représentation nationale niçoise après le plébiscite frauduleux. En voici la teneur :
« Monsieur le Président. Vu le résultat du vote du comté de Nice, qui a eu lieu le 15 courant, sans aucune garantie légale, en violation manifeste de la liberté et de la régularité du scrutin et des promesses solennelles stipulées dans le traité de cession du 24 mars ; « Attendu, qu’un tel vote s’est déroulé dans un pays qui nominalement appartenait encore à l’Etat sarde et qui était libre de choisir entre celui-ci et la France, mais qui se trouvait en réalité complètement aux mains de cette dernière puissance, occupé militairement et soumis à toutes les influences de la force matérielle, comme nous le prouvent sans contestation possible les témoignages de la Chambre et du pays ; « Attendu que le présent vote s’est déroulé avec de très graves irrégularités, mais que l’expérience du passé nous refuse toute espérance de voir ordonné une enquête à ce sujet ; « Nous soussignés, croyons de notre devoir de déposer notre mandat de représentants de Nice, en protestant contre l’acte de fraude et de violence perpétré, en attendant que le temps et les circonstances permettent à nous et à nos concitoyens de faire valoir avec une réelle liberté nos droits, qui ne peuvent être amoindris par un pacte illégal et frauduleux » Giuseppe Garibaldi – Laurenti-Roubaudi
Ecrit à Nice le 24 d’Aoust 2015 par Jean-Marc Fonseca dich Barbajohan.
Notes de fin : Les militaires à la différence des politiciens civils utilisent beaucoup moins la langue de bois entre eux. Ainsi ils emploient bien les termes Savoisiens, Annexion, Occupation, etc., dans leur correspondance…Une partie de cet article est largement inspiré du livre de Hubert Heyriés :
« Les militaires savoyards et niçois entre deux patries 1848-1871 » l’ensemble des courriers militaires cités sont disponibles au SHAT (Service Historique de l’Armée de Terre) sous la référence G3/1 Armée d’Italie.
Ainsi contrairement à de pseudo historien qui attribuent le terme annexion à Garibaldi ou à quelques « indépendantistes excités » le terme annexion fut bien utilisé par les responsables de cette opération au plus haut niveau. Et cette annexion fut bien orchestrée à partir d’une occupation militaire de territoires qui n’appartenaient pas à la France.
Autre bibliographie : Pierre Louis Caire, Annexion de Nice en 1860. Collection les cahiers de l’annexion. France Europe Edition, préface d’Alain Rouillier-Laurens.
Paul Guichonnet, Nouvelle histoire de la Savoie, Toulouse, Éditions Privat,